Atterrissement colonisé par la végétation sur la Loire
© OIEau, 2017 - CC BY 3.0 FR
Coûts des programmes de mesures
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Les programmes de mesures dans le cycle de la DCE
La Directive cadre sur l'eau (DCE) est entrée en vigueur, en octobre 2000 dans tous les pays de l’Union Européenne dans le but d’améliorer la cohérence de la gestion de l’eau au niveau européen. Elle fixe, pour chaque masse d’eau, un objectif de bon état écologique et chimique et impose l’utilisation de plans de gestion et de programmes de mesures pour y parvenir en 2015 avec une possibilité de report de cette échéance à 2027.
En France, de tels plans de gestion existaient déjà depuis 1992 avec les SDAGE. Cependant, la transposition de la DCE dans le droit français qui s’est déroulée entre 2004 (loi n° 2004-338) et 2006 (loi n° 2006-1772, appelée communément LEMA) a permis d’instaurer le SDAGE comme plan de gestion au sens de la DCE.
Les SDAGE fixent les objectifs environnementaux à atteindre et les priorités sur lesquelles agir pour y parvenir. C’est le passage d’une politique définie sur des objectifs de moyens à une politique basée sur des objectifs de résultats.
Ils sont chacun complétés par un programme de mesures (PDM) qui recense et identifie les actions à engager pour atteindre ces objectifs environnementaux. Avec les plans d’action opérationnels territorialisés (PAOT) – qui en sont sa déclinaison au niveau départemental – le PDM est l’outil principal de la mise en œuvre des politiques définies dans le SDAGE.
Le SDAGE – opposable aux autres documents – doit ainsi permettre la cohérence de l’ensemble des schémas (SRADDET, SCoT, PLU, PLUI, SAGE, etc.), compétences (GEMAPI, gestion du territoire, etc.) ou structures porteuses (ETPB, EPAGE, MISEN, etc.) ayant un lien significatif avec le grand cycle de l’eau.
Illustration : les cycles de mise en oeuvre de la DCE
Les cycles de mise en œuvre de la DCE
© Agence française pour la biodiversité / Réalisation Matthieu Nivesse (d'après OIEau), 2018 - LO-OL
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Etablir un programme de mesures
Comment les programmes de mesures sont-ils établis ?
Les programmes de mesures (PDM) contiennent l’ensemble des mesures identifiées comme nécessaires à l’atteinte du bon état des eaux aux échéances de 2015, 2021 ou 2027. Ces mesures sont déployées pour atteindre les objectifs définis par le SDAGE.
Les PDM sont arrêtés par les préfets coordonnateurs de bassins (autorité administrative au sens de l’article L212-2-1 du code de l’environnement) et les différentes étapes sont réalisées en concertation avec les comités de bassins, assemblées regroupant les différents acteurs publics et privés agissant dans le domaine de l’eau à l’échelle d’un bassin.
Un maître d’ouvrage est en charge de la mise en œuvre d’une mesure : il peut s’agir d’une collectivité, mais aussi d’acteurs public (établissement public) ou privé (association). Il peut bénéficier d’aide pour le financement de la part des agences de l’eau.
À chaque nouveau cycle, les mesures et les objectifs sont réévalués. Les mesures qui n’ont pas été réalisées peuvent être reconduites si cela est jugé nécessaire.
Illustration : Méthode de définition des programmes de mesures
© Agence française pour la biodiversité, d'après la circulaire DCE, Ministère en charge de l'écologie, 2006 / Réalisation Matthieu Nivesse, 2019
Les mesures inscrites dans les programmes sont des actions concrètes, à échéance (cycles DCE) et soumises à une évaluation financière. Il peut s’agir de mesures techniques, réglementaires, économiques ou fiscales liées à la gouvernance et à la connaissance.
Elles se distinguent en :
• mesures de base, qui répondent aux exigences minimales de la réglementation nationale et communautaire. Il peut s’agir, par exemple, des mesures découlant de la réglementation sur les rejets ponctuels ou les prélèvements ou de mesures issues des directives sur les nitrates ou sur le traitement des eaux urbaines résiduaires (ERU). Elles peuvent être mises en œuvre au niveau national ou territorialisées. Une mesure est territorialisée si elle agit à l’échelle d’une masse d’eau, sur un territoire ou sur un ouvrage spécifique.
• mesures complémentaires, qui doivent être mises en œuvre en plus des mesures de base afin de répondre aux objectifs d’atteinte du bon état des eaux de la DCE. Elles répondent généralement à des enjeux locaux et sont territorialisées.
Afin de faciliter le suivi de la mise en œuvre des PDM, un outil de suivi des mesures opérationnelles sur l’eau (OSMOSE) a été développé afin de recenser au niveau national l’ensemble des actions programmées pour l’atteinte du bon état des eaux : toutes les données y sont renseignées, localisées et datées.
Focus : La classification OSMOSE
Le référentiel OSMOSE (outil de suivi des mesures opérationnelles sur l’eau) classifie les mesures en différents grands domaines : agriculture (AGR), assainissement (ASS), industrie (IND), milieux aquatiques (MIA), déchets (DEC), ressource (RES), gouvernance (GOU), pollution diffuse hors agriculture (COL)…
Exemple de mesures pour les domaines milieux aquatiques, assainissement et agriculture :
Milieux aquatiques (MIA) |
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MIA0101 | Réaliser une étude globale ou un schéma directeur visant à préserver les milieux aquatiques |
MIA0302 | Supprimer un ouvrage qui contraint la continuité écologique (espèces ou sédiments) |
Assainissement (ASS) |
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ASS0201 | Réaliser des travaux d'amélioration de la gestion et du traitement des eaux pluviales strictement |
ASS0402 | Reconstruire ou créer une nouvelle STEP hors Directive ERU (agglomérations ≥2000 EH) |
Agriculture (AGR) |
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AGR0201 | Limiter les transferts de fertilisants dans le cadre de la Directive nitrates |
AGR0401 | Mettre en place des pratiques pérennes (bio, surface en herbe, assolements, maîtrise foncière) |
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Estimation des coûts du programme de mesures
Pourquoi estimer les coûts du programme de mesures ?
« L’estimation des coûts [des PDM] permet aux acteurs de l’eau de prendre la mesure des dépenses nécessaires pour l’atteinte des objectifs environnementaux de la directive cadre sur l’eau.»
Source : Programme de mesures 2016-2021 de l'agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse
Les agences et offices de l’eau estiment les coûts de leur programme de mesures pour plusieurs raisons.
(i) La raison économique
Pour pouvoir améliorer l’efficacité de leur politique environnementale, les agences et offices de l’eau doivent être en mesure de connaître le montant et la répartition de leurs dépenses.
En effet, avoir une estimation des coûts des mesures réalisées permet d’être réaliste quant aux objectifs fixés et aux moyens qui doivent être mis en œuvre pour les atteindre. Les objectifs de la DCE sont nombreux et exigeants et impliquent une forte mobilisation et des efforts des différents acteurs de l’eau pour y parvenir.
(ii) La raison réglementaire
La DCE étant une directive de l’Union Européenne, les États membres sont dans l’obligation de rendre compte de la mise en œuvre de la directive au niveau national en fournissant périodiquement une série de données et de documents relatifs à la mise en œuvre de la directive auprès de la Commission européenne. C’est ce qu’on appelle le rapportage.
En France, c’est la direction de l’eau et de la biodiversité (DEB) du Ministère de la Transition écologique et solidaire qui centralise les informations et données - incluant l’estimation du coût du programme de mesures des différentes agences et offices de l’eau - et qui les transmet à la Commission Européenne.
a. Comment les coûts du programme de mesures sont-ils estimés ?
Chaque agence et office de l’eau estime le coût de son propre programme de mesures.
Dans un besoin d’uniformité et afin de pouvoir comparer et rapporter des estimations homogènes, les agences et offices doivent prendre en compte des coûts de même nature. L’estimation du coût du programme de mesures comprend l’ensemble des coûts d’investissement et une partie des coûts de fonctionnement (spécifiques à un certain type de mesures).
Ces deux types de coûts sont complexes à estimer et posent de réelles questions aux économistes des agences de l’eau, en particulier lorsqu’il s’agit de les agréger.
En effet, il est courant d’estimer le coût unitaire d’une action (par exemple, combien coûte la renaturation d’un km de rivière) mais dimensionner les mesures s’avère compliqué en raison des incertitudes qui subsistent sur leurs impacts (par exemple, il est beaucoup plus compliqué de se prononcer sur le nombre de km de rivière à renaturer).
En outre, les approximations dans l’estimation des coûts unitaires gomment mécaniquement les caractéristiques de chaque projet ce qui peut occasionner une sous ou sur estimation des dépenses. Dans ce cas, il est admit que tout cela s’égalise à l’échelle du bassin hydrographique
Définition des deux types de coûts
Les coûts des nouveaux investissements sont ponctuels. Ils comprennent les coûts des travaux nécessaires à la construction de nouveaux équipements et le coût des études préparatoires associés, et ils sont généralement supportés sur plusieurs années. Les agences de l’eau possèdent un certain nombre de données sur ces coûts grâce à leurs dossiers d’aides que les maîtres d’ouvrage doivent remplir afin de bénéficier d’une aide. Elles peuvent également réaliser des études afin de les estimer.
Les coûts de fonctionnement sont, quant à eux, estimés seulement pour certaines mesures. Par exemple, les mesures agro-environnementales, les mesures liées à la gouvernance comme les mesures d’animation ou les mesures liées à la gestion de grands ouvrages hydrauliques. Les coûts de fonctionnement ne sont pas évalués pour les mesures liées à des travaux ou des ouvrages. Ces coûts sont plus compliqués à estimer notamment car ils sont continus et évoluent sur le long terme.
b. La méthode
Les agences et offices de l’eau évaluent les coûts de leur programme de mesures en suivant les étapes suivantes :
A partir d’études, de dire d’experts, de coûts de référence, etc. les agences et offices de l’eau établissent des coûts unitaires pour différents types de travaux ou d’ouvrages.
Par exemple, pour l’agence Rhône-Méditerranée-Corse :
- le coût de découverture d’un cours d’eau est défini à 120 € par mètre linéaire de berge en milieu contraint (mesure MIA0202).
- le coût unitaire d’un dispositif de prévention des pollutions accidentelles est défini à 50 000 € par action (mesure IND0701).
Ces coûts sont ensuite multipliés, selon le type de travaux, par l’assiette technique pertinente.
Par exemple, pour les deux exemples précédents, l'assiette technique pertinente repose sur le linéaire restauré et la masse d’eau. On peut également considérer l’équivalent habitant (EH), le nombre de captages, la surface de zone humide, etc. Cela permet d’estimer le coût total de la mesure pour le territoire étudié.
Si la mesure est mise en œuvre sur plus d’un territoire, le coût est alors multiplié par le nombre de territoires concernés.
Les coûts sont ensuite évalués selon leur échéance, c’est-à-dire si l’objectif doit être atteint à la fin du premier cycle, en 2015, du deuxième cycle, en 2021, ou à la fin du prochain programme (3ème cycle), en 2027.
La dernière étape consiste à agréger le coût de l’ensemble des mesures pour obtenir le coût total estimé du programme de mesures.
Enfin, à ces coûts doivent s’ajouter les coûts des mesures engagées lors du programme précédent et reportées au programme actuel.
Le schéma ci-dessous reprend la méthode présentée.
Le chiffrage du coût du programme de mesures relève de l’estimation, il « fournit des ordres de grandeur du coût des actions à prévoir ». Il n’a pas vocation à évaluer de manière précise les coûts pour chaque opération mais plutôt à déterminer quel est « l’effort global à fournir et d’aider à la décision ».
Comparaison avec la répartition par domaine du coût des mesures nécessaires à l’atteinte du bon état partout - PDM réaliste VS PDM idéal
Pour le bassin Seine-Normandie, le coût des mesures répertoriées par les services qui seraient nécessaires à l’atteinte du bon état sur toutes les masses d’eau à l’horizon 2021 est estimé à environ 15 milliards d’euros, ce qui représente le double de l’enveloppe financière dont dispose le PDM.
Au regard de la répartition qui serait nécessaire pour l’atteinte de ces objectifs, le volet agricole nécessiterait 62% de cette somme pour atteindre le bon état (soit 9,3 milliards d’euros), ce qui représente un montant près de 9 fois supérieur au montant disponible (1,04 milliards d’euros).
Illustration : répartition par domaine du coût des mesures nécessaires à l'atteinte du bon état sur le bassin Seine Normandie
En réalité, la répartition du programme de mesures du bassin Seine-Normandie est bien différente.
Illustration : répartition par domaine du coût du PDM sur le bassin Seine Normandie
Depuis 2016, les agences et offices de l’eau coopèrent pour remédier à cela. Elles tentent, par le biais d’un Observatoire national des coûts co-piloté par la DEB et l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, de faire converger et de mutualiser leurs efforts et connaissances afin d’améliorer la cohérence des méthodes, la robustesse des coûts et la coopération entre les bassins.