Coûts disproportionnés et dérogations

Coûts disproportionnés et dérogations

15 décembre 2020 -
Analyse économique et décision
Coûts disproportionnés et dérogations
La directive cadre sur l’eau (DCE) définit la politique commune de l’eau au niveau européen. Elle fixe ainsi aux pays membres des objectifs de bon état des masses d’eau à atteindre dans un délai imparti. Pour les atteindre, les États membres doivent instaurer, à l’échelle du bassin hydrographique, des plans de gestions appelés schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et des programmes de mesures (PDM).

Les analyses économiques menées dans le cadre de la DCE concernent notamment les justifications des dérogations d’atteinte des objectifs fixés faisant parfois appel à la notion de coûts disproportionnés.

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Les dérogations aux objectifs de la DCE

La DCE fixe un objectif général de restauration – ou de maintien lorsque c’est déjà le cas – du bon état des masses d’eau sur l’ensemble du territoire européen. Elle introduit une obligation de résultats avec des échéances impératives et des évaluations régulières, selon une démarche de progrès organisée en cycles de six ans.

Le premier cycle pour les plans de gestion couvre la période 2010-2015, le second la période 2016-2021 puis le troisième la période 2022-2027. Cependant, il est communément admis que certains résultats/objectifs ne sont pas atteignables dans leur intégralité ou dans le temps imparti.

C’est pourquoi la directive institue la possibilité de dérogations à l’échéance fixée de base pour l’atteinte du bon état des eaux. Ces dérogations peuvent consister en plusieurs cas de figure, développés ci-après. 

 

1/ Le report de délai ou un objectif moins strict

Les deux cas de figure les plus fréquents sont : 

     • un report de délai : l’objectif doit alors être atteint en 2021 ou en 2027.

    • un objectif moins strict : l’objectif est alors fixé à un niveau inférieur que l’objectif de bon état (de la masse d’eau). 

 

De manière générale, les dérogations liées à un report de délai sont préférées aux dérogations d’objectifs. Ces deux types de dérogation peuvent être justifiés par trois critères (articles 4.4 et 4.5 de la DCE) : 

          • Les conditions naturelles :

Un certain délai est parfois nécessaire avant que les effets des mesures mises en œuvre se reflètent sur la qualité du milieu. La masse d'eau est alors reclassée en objectif moins strict du fait de ses conditions naturelles.
 

Illustration

Par exemple, la nappe alluviale du bassin potassique située en Alsace près de Mulhouse est une nappe contaminée par du sel provenant des mines de potasse de la région. Les activités minières ont entrainé la création de terrils, composés de résidus riches en sel qui, au cours du temps, se sont disséminés  dans les milieux suite aux pluies.

Afin de réduire la quantité de sel contenue dans l’eau et de restaurer le bon état des eaux de la nappe, un ensemble de mesures ont été mises en œuvre à partir des années 70. Ainsi, chaque année, environ 15% du sel restant est extrait.

Malgré ces bons résultats, l’objectif de restauration de la qualité de l’eau de la nappe a été impossible à atteindre en 2015. Or, en poursuivant l’application de ces mesures jusqu’en 2027, la quantité de sel présente dans l’eau tombera alors sous le seuil et permettra de qualifier la masse d’eau en bon état.  

          • La faisabilité technique :

Certaines mesures supposent de mettre en place des actions techniques. Leur complexité  implique alors des délais plus longs pour les mettre en œuvre (détermination de la maîtrise d’ouvrage, délai d’élaboration des études, délai de procédure, temps nécessaire à la réalisation des travaux, etc.)  

Illustration

Par exemple, la construction d’importants ouvrages tel que la modification d’infrastructures (renforcement de la capacité de traitement d’une station d’épuration des eaux usées…) ou la construction d’aménagements (suppression d’un barrage sur une rivière pour rétablir la circulation des poissons…) peuvent prendre plusieurs années, retardant ainsi l’atteinte de l’objectif.
 

          • Les coûts disproportionnés :

La réalisation des actions nécessaires à l'atteinte du bon état dans les délais fixés peut être trop coûteuse. On décide alors de reporter l’objectif et d’étaler le coût des actions sur 6 ou 12 années supplémentaires.

Ce report permet également de prioriser les actions qui doivent être le plus rapidement mises en place. On dit alors que les coûts sont disproportionnés.

2/ une dérogation temporaire

Une dérogation temporaire permettant l’altération de l’état des masses d’eau peut conduire à un objectif moins strict ou à un report de délai.

Par exemple, la réalisation d’actions (construction d’ouvrages, etc.) peut amener à une dégradation de l’état des masses d’eau ne permettant pas d’atteindre l’objectif de bon état des eaux. 

 

Ces actions doivent impérativement être justifiées par des motifs de force majeure. Les bénéfices (en termes de santé, de sécurité, de développement durable, etc.) engendrés par les actions doivent être supérieurs aux bénéfices de l’atteinte du bon état des eaux pour la société et l’environnement. Il est également nécessaire de démontrer qu’il n’existe pas d’autre option qui soit meilleure pour l’environnement, à un coût non disproportionné et techniquement réalisable. Enfin, les maîtres d’ouvrage doivent faire en sorte que les actions réalisées dégradent le moins possible les milieux. 

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Focus sur les coûts disproportionnés

Dans le cadre de la DCE, le caractère disproportionné des coûts est, en première instance, déterminé au regard de la différence entre le coût de la mesure mise en œuvre et les bénéfices qu’elle engendre pour la société via la restauration du bon état. Dit autrement, il s’agit de comparer  les incidences du coût des travaux sur le prix de l'eau et l’impact des mesures sur les activités économiques, avec  la valeur économique des bénéfices environnementaux et autres avantages escomptés liés au bon état de la masse d’eau. 

Cependant, les coûts peuvent être supérieurs aux bénéfices et ne pas être considérés comme disproportionnés.

Cette décision relève d’une décision politique plutôt que d’un simple calcul. Le guide écrit par le groupe de travail WATECO  (Water economics), qui a pour but de faciliter la mise en œuvre de la DCE, décrit ainsi les coûts disproportionnés comme « un jugement politique informé par des informations économiques  ».
 

infographie les coûts disproportionnés

Un second critère a été pris en compte durant le 1er cycle pour appréhender le caractère disproportionné des coûts : la capacité à payer des acteurs touchés par la mesure et par l’ensemble de la société.

Cela consiste à examiner la disproportion des coûts au cas par cas, au vu de critères tels que les moyens financiers disponibles sur le territoire concerné par la mesure et au sein du/des  groupes d'utilisateurs qui en supportent le coût. S'il s'agit uniquement des ménages, le seuil de disproportion sera notamment lié à leur capacité à payer l'eau sensiblement plus chère.

Illustration : les étapes pour l'analyse économiques des coûts disproportionnés appliquées au 1er cycle de la DCE

Les étapes pour l'analyse économiques des coûts disproportionnés

Les étapes pour l'analyse économiques des coûts disproportionnés

Les retours d’expérience des utilisateurs (agences de l’eau notamment) de la démarche mise en place au 1er cycle et les remarques formulées par la Commission Européenne ont amené le Ministère en charge du Développement Durable et les services économiques des Agences de l’eau à réfléchir au rôle qu’ils souhaitaient voir jouer à l’économie dans la mise en œuvre de la DCE, dans le cadre de la préparation du deuxième cycle.

Alors qu’au premier cycle, la démarche des dérogations pour coûts disproportionnés consistait à justifier a posteriori une impossibilité socio-économique constatée ou présumée d’atteindre le bon état pour 2015, la stratégie adoptée par la France pour le second cycle s'est fondée sur une logique budgétaire.

Les reports de délais pour cause de coûts disproportionnés ont été effectués de manière à répartir les coûts de l'atteinte du bon état des masses d'eau dans le temps (entre le 2ème et le 3ème cycle) et dans une logique de priorisation des masses d’eau en fonction d’un certain nombre de critères.

Pour plus d'informations sur la démarche adoptée, consultez le document guide.