Caractérisation socio-économique des usages de l’eau

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Caractérisation socio-économique des usages de l’eau

29 juin 2021 -
Les usages de l'eau
Les différentes utilisations de l’eau soulèvent des enjeux inhérents : la rareté de la ressource, la question de l’accès, la qualité de distribution ou encore la concurrence croissante entre les usages sont autant de défis pour lesquels il est essentiel d’adopter une approche économique de l’utilisation de l’eau.

Analyser les usages, les impacts et les pressions sur les milieux constitue la première étape de l’analyse économique au sens de la Directive cadre sur l’eau. Caractériser les usages de l’eau permet de comprendre le lien entre les dynamiques territoriales et les enjeux liés à la ressource hydrique.

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Le principe

La caractérisation socio-économique des usages de l’eau permet d’évaluer l’importance économique de l’eau en analysant ses différentes utilisations. Elle a pour objectifs:

- d’estimer le poids économique des différents usages de l’eau.

- de mieux situer les différents enjeux économiques liés aux usages de l’eau.

- de mettre en lumière les pressions qui s’exercent sur le milieu en lien avec l’utilisation de l’eau.

Cette démarche apporte une aide à la compréhension de la consommation, à la prévision de la demande en eau et à la décision lorsqu’il s’agit d’adopter des solutions afin de protéger les milieux aquatiques.

Cet exercice fait partie prenante de ce que l’on appelle l’état des lieux exigé par la Directive cadre sur l'eau (DCE).

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Focus : l'état des lieux exigé par la DCE

Réalisé à l'échelle de chaque bassin hydrographique tous les six ans, l’état des lieux s’apparente à un diagnostic territorial. Qualifiant l'état des eaux et les pressions significatives impactant cet état, il vise à identifier l’origine de l’éventuelle dégradation de l’eau et des milieux aquatiques. Il contribue à la définition et la priorisation des actions de reconquête de la qualité des milieux (comprises dans le programme de mesures et d'autres documents de programmation territorialisés).

Il comprend notamment :

   - l’identification de l’ensemble des masses d’eau du bassin,

   - la caractérisation des pressions significatives,

   - la prévision de l’offre et de la demande en eau à un horizon prédéfini.

Une pression est dite significative si seule ou combinée aux autres pressions elle peut déclasser l’état d’une masse d’eau. 

La notion de bon état d'une masse d'eau

L’état d’une masse d’eau correspond à l’évaluation de certains paramètres (biologiques, chimiques ou quantitatifs) rapporté à une échelle de notation (bon, moyen, médiocre, mauvais) suivant qu’il s’agisse d’eaux de surface ou d’eaux souterraines. 

Le bon état d’une masse d’eau de surface est atteint lorsque l’état écologique et l’état chimique de celle-ci sont au moins « bons ». Une masse d'eau souterraine sera considérée en bon état seulement si son état chimique et son état quantitatif sont au moins « bons ».

 

Pour en savoir plus sur la notion de bon-état des eaux.

​L’Etat des lieux permet d’informer le public et les acteurs du bassin sur les pressions exercées par les activités humaines sur le territoire et leurs impacts sur l’état des masses d’eau.

 

A titre d'exemple, l’actualisation de l’état des lieux du bassin Adour-Garonne a notamment révélé que 38 % des masses d’eau superficielles et 40% des masses d’eau souterraine présentent une pression phytosanitaire significative en 2019.

Illustration : pressions anthropiques sur le bassin Adour-Garonne - pourcentage de masse d'eau en pression significative
Pressions - EDL AEAG

Source : AEAG, état des lieux 2019.

L'analyse économique dans le cadre de l'état des lieux a pour finalité d’établir les fondements et les orientations du Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).

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La démarche à suivre

La caractérisation des usages s’appuie sur trois grands axes.

Les trois grands axes de la caractérisation des usages

Source : d’après Eclairer les dimensions sociales et économiques de la politique de l’eau sur le bassin Loire-Bretagne - Méthodes et outils d’analyse sociale et économique : concepts, mise en œuvre et exemples d’applications, AELB, Novembre 2017.

 

1. / Inventorier les usages

L’ensemble des activités utilisant la ressource en eau doivent faire l’objet d’une réflexion, à savoir :

         - les activités exerçant des pressions sur la ressource,

         - les activités contribuant aux services écosystémiques,

         - les activités bénéficiant des services écosystémiques.

Les écosystèmes sont le support de nombreuses activités humaines. Lorsqu’ils sont en bon état, ils fournissent de nombreux  biens ainsi que des services que l’on appelle « services écosystémiques ».

L’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (Efese) distingue trois familles de services écosystémiques :

- la fourniture de biens comprenant l’ensemble des biens prélevés dans les écosystèmes.

- les services de régulation qui désignent les avantages qui résultent de la capacité des écosystèmes à réguler les cycles climatiques, hydrologiques et biogéochimiques, les processus de surface de la Terre et une variété de processus biologiques.

- et les services culturels désignant les avantages dérivés des usages récréatifs, éducatifs et expérientiels des écosystèmes ;

En France, le programme EFESE vise à harmoniser l’ensemble des travaux sur les écosystèmes et services écosystémiques. 

 

2. / Caractériser les usages

La caractérisation des usages s’appuie sur la définition des acteurs concernés par les utilisations de l’eau en mettant en lumière le lien entre certains indicateurs économiques, l’activité du territoire et les utilisations de la ressource.

Il s’agit de décrire les usages en fonction d’indicateurs qualitatifs et/ou quantitatifs.

On va chercher, par exemple, à quantifier le nombre d’emplois ou le chiffre d’affaire engendré par l’activité utilisant la ressource en eau et évaluer le poids relatif de cette activité vis-à-vis d’autres activités dans l’économie du territoire.

D’autres indicateurs économiques peuvent être mobilisés. Le résumé du guide de la méthode européenne WATECO recense un ensemble de données économiques pouvant être utilisé.

Tableau 1 : extrait des indicateurs économiques pouvant être mobilisés
Types d'usages ou de services liés à l'eau Données économiques
Alimentation en eau potable
 
Prix de l'eau selon le niveau de traitement
Alimentation collective ou autonome : nombre ou % d'individus desservis
Volumes prélevés ou volumes distribués en m3
Activités économiques du secteur d’eau potable : emplois associés, chiffres d’affaires, équipement
Assainissement Prix de l’assainissement collectif ou non collectif
Coût de traitement tertiaire
Coût des mesures curatives
Alimentation collective ou autonome : nombre ou % d’individus desservis
Agriculture Prix du m3 selon la typologie du dispositif d’irrigation
Types d’activités agricoles : superficies irriguées et cultures pratiquées
Activités économiques du secteur agricole : nombre totale d’exploitation, revenu agricole, marge de production…
Quantité d'effluents produits : apports azotés/ha, apports en phosphore organique/ha, apports en pesticides/ha…
Superficies d’épandage
Elevage : nombre d’exploitation d’élevage, valeur de la production issue de l’élevage…
Coût des mesures curatives et de protection prises suite aux prélèvements
Transport fluvial Nombre de bateaux
Emplois liés à la navigation
Chiffre d’affaires annuel
Quantité et valeur des marchandises transportées
Emploi dans les ports pluviaux
Tourisme fluvial Nombre de touriste par jour
Dépense annuelle moyenne par touriste et par jour
Emploi total dans ce secteur
Chiffre d'affaires du secteur
Activités récréatives : pêche de loisir, canöe-kayak... Nombre d’usagers
Dépenses annuelle des usagers (matériel, déplacement, hébergements)
Estimation du bénéfice induit par l’activité
Nombre de jours de pratique
Pêche professionnelle, aquaculture, pisciculture, conchyliculture... Volume d’activités
Chiffre d’affaire annuel
Dépenses de protection, coûts de purification (traitement)
Nombre d’emplois

 

Source : l’économie dans la DCE – résumé du guide de méthode européen WATECO, AESN, 2003

3. / Etablir une relation entre la caractérisation des usages de l’eau et le milieu naturel

Cette étape permet de soulever les enjeux associés à la préservation de la ressource. Il s’agit d’identifier les interactions entre la sphère économique et le milieu récepteur. Cette étape doit permettre de répondre aux questions suivantes :

- quelles sont les utilisations concrètes de l’eau par l’usage considéré ?

- quelles sont les exigences de cet usage quant à la quantité et la qualité de la ressource ?

- quelles pressions cet usage exerce-t-il sur la ressource et/ou le milieu aquatique ?

 

Enfin et compte tenu de la rareté de la ressource, il convient d'identifier les risques potentiels de conflit entre usages.

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Un exemple complet : la caractérisation socio-économique des usages sur le bassin Seine-Normandie

Le bassin Seine-Normandie comprend le fleuve de la Seine et ses principaux affluents.

Ce bassin est très marqué par les activités humaines : la densité des forêts y est faible alors que l'activité agricole et l'urbanisation sont fortement présentes autour des grands cours d'eau notamment puisqu’il comprend la région Ile-de-France, région la plus peuplée de l’hexagone selon le dernier recensement INSEE.

               • étape 1 : inventorier les usages

Dans le cadre de l’état des lieux réalisé en 2013, les principaux usages inventoriés sont les suivants.

Illustration : usages identifiés sur le bassin Seine-Normandie

Etat des lieux 2013

Agence de l'eau Seine-Normandie

Source : AESN, état des lieux 2013.

               • étape 2 : caractériser les usages

Les activités concernées par l’utilisation de l’eau ont fait l’objet d’une traduction en termes d'indicateurs.

Tableau 2 : extrait des indicateurs économiques mobilisés lors de l'état des lieux 2013 sur le bassin Seine-Normandie
Usages domestiques Indicateurs utilisés
Alimentation en eau potable Volumes prélevés pour l'eau potable
Densité de population
Assainissement collectif Nombre de logements raccordés
Nombre d'habitants raccordés à l'assainissement collectif
Usages non domestiques Indicateurs utilisés
Catégorie d'usage dont notamment...
Usages agricoles l'élevage Nombre d’exploitations
Composition du cheptel du bassin : part des unités gros bétail (UGB), surfaces toujours en herbes…
Production Brute Standard (PBS) du secteur agricole
l'irrigation Types de cultures sur le bassin : part des terres labourables, superficies en maïs…
Superficie irriguée
Evolution de la surface agricole utile (SAU)
Emploi agricole : nombre d’unités de travail annuels (UTA), volume de travail…
Usages industriels   Nombre d'établissements
Nombre d'emplois
Chiffres d'affaires
Usages récréatifs la navigation commerciale Volumes transportés
Chiffres d'affaires
l'activité portuaire Nombre de ports
Emplois portuaires
Trafic de marchandises
l'hydroélectricité
Recette nette totale
Puissance installée
Nombre d'emplois
Nombre d’ouvrages hydroélectriques
l'extraction de granulats alluvionnaires Chiffre d'affaires
Production : volumes produits, part du volume dans la production française…
la conchyliculture Volumes de coquillages produits
Chiffres d'affaires
baignade, tourisme fluvial, sport nautique, etc. Nombre de concessionnaires
Nombres d'embarcations immatriculées dans les ports normands, nombre de bateaux...
Nombres d'usages respectifs pour chaque activité / nombre de licenciés 

Source : AESN, état des lieux 2013.

 

Le poids économique des différents usages des ressources en eau et des milieux aquatiques a été évalué. Une distinction a été faite en dissociant les usages qui requièrent une bonne qualité de l’eau et ayant un moindre impact sur les milieux (par exemple, les activités touristiques liés à la baignade) des usages ayant un impact négatif sur les milieux (tel que certaines activités industrielles).

La figure ci-après présente les résultats.

Illustration : poids économiques des usages de l’eau et principaux enjeux du bassin
Illustration - poids éco usages de l'eau AESN EDL 2013

 Source : AESN, état des lieux 2013. 

               • étape 3 : établir un lien entre la caractérisation des usages et le milieu naturel

    • Impact sur les milieux aquatiques

Les différentes activités humaines du bassin génèrent des pressions qui impactent la qualité des eaux du bassin. Sur le bassin, les pressions polluantes qui s’exercent sur les masses d’eau ont pour principales origines : les rejets pluviaux, les rejets domestiques, les rejets industriels ou les rejets agricoles.

 

Chaque catégorie de pression polluante a été traduite en impact sur le milieu aquatique. Dans le cadre de notre exemple, on s’intéresse aux principales pressions exercées par les usages domestiques et les usages agricoles.

Les rejets des collectivités (les eaux domestiques) et les rejets agricoles contribuent majoritairement à la pollution par les composés azotés. Les apports en excès d’azote à la mer par les fleuves sont un des principaux facteurs responsables des phénomènes d’eutrophisation des eaux côtières.

 

Par ailleurs, les pollutions liées aux micropolluants trouvent leur origine principalement dans les rejets industriels. Les rejets urbains ainsi que les apports induits par le ruissellement en  temps de pluie ne sont pas à négliger puisque de nombreuses substances transitent par ces réseaux. On parle d’eaux pluviales lorsque ces dernières se chargent en polluants par l’intermédiaire du lessivage des surfaces par lesquelles elles transitent.

Ces apports industriels et urbains ne sont pas les seuls à considérer : d’autres comme les apports diffus agricoles (élevage, érosion sur surface agricole) peuvent s’avérer non négligeables voire prépondérants. Ce peut être le cas pour le nickel ou le chrome.

 

Ces substances peuvent s’avérer toxique à la fois pour l’environnement et pour l’homme.

A juste titre, lorsque l’eau ne respecte pas les normes de qualité, celle-ci doit subir un traitement complémentaire.

Par exemple, pour distribuer une eau potable à partir des eaux brutes, la collectivité supporte différents coûts (le coût des travaux si un captage doit être abandonné ou dépollué, le coût du traitement de l’eau, etc.).  

Une teneur excessive en nitrates entraîne des surcoûts dus aux traitements de potabilisation de la ressource. Une étude du CGDD a estimé les dépenses de traitement de potabilisation à la charge des collectivités locales. Ces dernières seraient ainsi comprises entre 120 et 360 millions d’euros par an, sur la base d'une estimation datant de 2011.

 

    • Conflit d'usages

Au regard des usages identifiés, de nombreux conflits d’usages peuvent apparaître.

Par exemple, les activités agricoles présentent sur le territoire contribuent à la pollution des cours d’eau. Il y a conflit d’usages lorsque ces activités peuvent altérer une source d’eau potable, qu’il s’agisse d’un puits privé ou d’une source utilisée pour les prélèvements des services publics d’eau potable.

Le bassin est un haut lieu de la production conchylicole. Les coquillages ont besoin de matière organique et de l’oxygène présents dans l’eau pour se développer. Or, un apport excessif en azote ou en phosphore induit par les rejets de l’assainissement collectif et non collectif ou par l’activité agricole vient altérer la qualité de l’eau en appauvrissant cette dernière en oxygène. Il se peut qu’un conflit d’usage naisse entre l’usage conchylicole et l’usage domestique et/ou agricole.

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Mobiliser la caractérisation économique des usages en dehors du cadre de la DCE

Le champ d’utilisation de la caractérisation des usages ne se limite pas aux obligations découlant de la DCE. L’évaluation de l’importance socio-économique des usages de l’eau intervient dans l’élaboration d’autres documents territoriaux notamment les plans de gestion de la ressource en eau (PGRE) ou les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE).

Selon l’instruction gouvernementale du 7 mai 2019 , un PTGE est « une démarche reposant sur une approche globale et co-construite de la ressource en eau sur un périmètre cohérent d’un point de vue hydrologique et hydrogéologique. Il aboutit à un engagement de l’ensemble des usagers d’un territoire (eau potable, agriculture, industrie, navigation, énergie, loisirs, etc.) permettant d’atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins et ressources disponibles en respectant  la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, en anticipant le changement climatique et en s’y adaptant ».

 

Ainsi, la démarche d’un PTGE s’inscrit dans une dynamique de dialogue et permet de :

   - réaliser un diagnostic des ressources disponibles et des besoins actuels et futurs des divers usages ;

   - mettre en œuvre des actions d’économie d’eau pour tous les usages ;

   - accompagner les agriculteurs dans la mise en œuvre de la transition agro-écologique ;

   - conduire les collectivités locales à désartificialiser les sols pour augmenter l’infiltration des eaux pluviales, et à considérer plus largement les solutions fondées sur la nature ;

   - assurer un partage équitable et durable de la ressource en servant en priorité les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population ;

 

À l'issue des Assises de l'eau, le Gouvernement s'est fixé l’objectif de faire aboutir au moins 50 projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) d’ici 2022, et 100 d’ici 2027. A ce titre, et pour faciliter son déploiement, l’institut national de la recherche agronomique (INRAE, ex IRSTEA), avec le soutien du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, vient de publier un  Guide d'aide à la réalisation d'analyses économiques et financières des PTGE à composante agricole.