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Caractérisation socio-économique des usages de l’eau
Analyser les usages, les impacts et les pressions sur les milieux constitue la première étape de l’analyse économique au sens de la Directive cadre sur l’eau. Caractériser les usages de l’eau permet de comprendre le lien entre les dynamiques territoriales et les enjeux liés à la ressource hydrique.
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Le principe
La caractérisation socio-économique des usages de l’eau permet d’évaluer l’importance économique de l’eau en analysant ses différentes utilisations. Elle a pour objectifs:
- d’estimer le poids économique des différents usages de l’eau.
- de mieux situer les différents enjeux économiques liés aux usages de l’eau.
- de mettre en lumière les pressions qui s’exercent sur le milieu en lien avec l’utilisation de l’eau.
Cette démarche apporte une aide à la compréhension de la consommation, à la prévision de la demande en eau et à la décision lorsqu’il s’agit d’adopter des solutions afin de protéger les milieux aquatiques.
Cet exercice fait partie prenante de ce que l’on appelle l’état des lieux exigé par la Directive cadre sur l'eau (DCE).
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Focus : l'état des lieux exigé par la DCE
Réalisé à l'échelle de chaque bassin hydrographique tous les six ans, l’état des lieux s’apparente à un diagnostic territorial. Qualifiant l'état des eaux et les pressions significatives impactant cet état, il vise à identifier l’origine de l’éventuelle dégradation de l’eau et des milieux aquatiques. Il contribue à la définition et la priorisation des actions de reconquête de la qualité des milieux (comprises dans le programme de mesures et d'autres documents de programmation territorialisés).
Il comprend notamment :
- l’identification de l’ensemble des masses d’eau du bassin,
- la caractérisation des pressions significatives,
- la prévision de l’offre et de la demande en eau à un horizon prédéfini.
Une pression est dite significative si seule ou combinée aux autres pressions elle peut déclasser l’état d’une masse d’eau.
La notion de bon état d'une masse d'eau
L’état d’une masse d’eau correspond à l’évaluation de certains paramètres (biologiques, chimiques ou quantitatifs) rapporté à une échelle de notation (bon, moyen, médiocre, mauvais) suivant qu’il s’agisse d’eaux de surface ou d’eaux souterraines.
Le bon état d’une masse d’eau de surface est atteint lorsque l’état écologique et l’état chimique de celle-ci sont au moins « bons ». Une masse d'eau souterraine sera considérée en bon état seulement si son état chimique et son état quantitatif sont au moins « bons ».
L’Etat des lieux permet d’informer le public et les acteurs du bassin sur les pressions exercées par les activités humaines sur le territoire et leurs impacts sur l’état des masses d’eau.
A titre d'exemple, l’actualisation de l’état des lieux du bassin Adour-Garonne a notamment révélé que 38 % des masses d’eau superficielles et 40% des masses d’eau souterraine présentent une pression phytosanitaire significative en 2019.
Illustration : pressions anthropiques sur le bassin Adour-Garonne - pourcentage de masse d'eau en pression significative
Source : AEAG, état des lieux 2019.
L'analyse économique dans le cadre de l'état des lieux a pour finalité d’établir les fondements et les orientations du Schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE).
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La démarche à suivre
La caractérisation des usages s’appuie sur trois grands axes.
Source : d’après Eclairer les dimensions sociales et économiques de la politique de l’eau sur le bassin Loire-Bretagne - Méthodes et outils d’analyse sociale et économique : concepts, mise en œuvre et exemples d’applications, AELB, Novembre 2017.
1. / Inventorier les usages
L’ensemble des activités utilisant la ressource en eau doivent faire l’objet d’une réflexion, à savoir :
- les activités exerçant des pressions sur la ressource,
- les activités contribuant aux services écosystémiques,
- les activités bénéficiant des services écosystémiques.
Les écosystèmes sont le support de nombreuses activités humaines. Lorsqu’ils sont en bon état, ils fournissent de nombreux biens ainsi que des services que l’on appelle « services écosystémiques ».
L’évaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (Efese) distingue trois familles de services écosystémiques :
- la fourniture de biens comprenant l’ensemble des biens prélevés dans les écosystèmes.
- les services de régulation qui désignent les avantages qui résultent de la capacité des écosystèmes à réguler les cycles climatiques, hydrologiques et biogéochimiques, les processus de surface de la Terre et une variété de processus biologiques.
- et les services culturels désignant les avantages dérivés des usages récréatifs, éducatifs et expérientiels des écosystèmes ;
En France, le programme EFESE vise à harmoniser l’ensemble des travaux sur les écosystèmes et services écosystémiques.
2. / Caractériser les usages
La caractérisation des usages s’appuie sur la définition des acteurs concernés par les utilisations de l’eau en mettant en lumière le lien entre certains indicateurs économiques, l’activité du territoire et les utilisations de la ressource.
Il s’agit de décrire les usages en fonction d’indicateurs qualitatifs et/ou quantitatifs.
On va chercher, par exemple, à quantifier le nombre d’emplois ou le chiffre d’affaire engendré par l’activité utilisant la ressource en eau et évaluer le poids relatif de cette activité vis-à-vis d’autres activités dans l’économie du territoire.
D’autres indicateurs économiques peuvent être mobilisés. Le résumé du guide de la méthode européenne WATECO recense un ensemble de données économiques pouvant être utilisé.
Tableau 1 : extrait des indicateurs économiques pouvant être mobilisés
Types d'usages ou de services liés à l'eau | Données économiques |
---|---|
Alimentation en eau potable |
Prix de l'eau selon le niveau de traitement |
Alimentation collective ou autonome : nombre ou % d'individus desservis | |
Volumes prélevés ou volumes distribués en m3 | |
Activités économiques du secteur d’eau potable : emplois associés, chiffres d’affaires, équipement | |
Assainissement | Prix de l’assainissement collectif ou non collectif |
Coût de traitement tertiaire | |
Coût des mesures curatives | |
Alimentation collective ou autonome : nombre ou % d’individus desservis | |
Agriculture | Prix du m3 selon la typologie du dispositif d’irrigation |
Types d’activités agricoles : superficies irriguées et cultures pratiquées | |
Activités économiques du secteur agricole : nombre totale d’exploitation, revenu agricole, marge de production… | |
Quantité d'effluents produits : apports azotés/ha, apports en phosphore organique/ha, apports en pesticides/ha… | |
Superficies d’épandage | |
Elevage : nombre d’exploitation d’élevage, valeur de la production issue de l’élevage… | |
Coût des mesures curatives et de protection prises suite aux prélèvements | |
Transport fluvial | Nombre de bateaux |
Emplois liés à la navigation | |
Chiffre d’affaires annuel | |
Quantité et valeur des marchandises transportées | |
Emploi dans les ports pluviaux | |
Tourisme fluvial | Nombre de touriste par jour |
Dépense annuelle moyenne par touriste et par jour | |
Emploi total dans ce secteur | |
Chiffre d'affaires du secteur | |
Activités récréatives : pêche de loisir, canöe-kayak... | Nombre d’usagers |
Dépenses annuelle des usagers (matériel, déplacement, hébergements) | |
Estimation du bénéfice induit par l’activité | |
Nombre de jours de pratique | |
Pêche professionnelle, aquaculture, pisciculture, conchyliculture... | Volume d’activités |
Chiffre d’affaire annuel | |
Dépenses de protection, coûts de purification (traitement) | |
Nombre d’emplois |
Source : l’économie dans la DCE – résumé du guide de méthode européen WATECO, AESN, 2003
3. / Etablir une relation entre la caractérisation des usages de l’eau et le milieu naturel
Cette étape permet de soulever les enjeux associés à la préservation de la ressource. Il s’agit d’identifier les interactions entre la sphère économique et le milieu récepteur. Cette étape doit permettre de répondre aux questions suivantes :
- quelles sont les utilisations concrètes de l’eau par l’usage considéré ?
- quelles sont les exigences de cet usage quant à la quantité et la qualité de la ressource ?
- quelles pressions cet usage exerce-t-il sur la ressource et/ou le milieu aquatique ?
Enfin et compte tenu de la rareté de la ressource, il convient d'identifier les risques potentiels de conflit entre usages.
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Un exemple complet : la caractérisation socio-économique des usages sur le bassin Seine-Normandie
Le bassin Seine-Normandie comprend le fleuve de la Seine et ses principaux affluents.
Ce bassin est très marqué par les activités humaines : la densité des forêts y est faible alors que l'activité agricole et l'urbanisation sont fortement présentes autour des grands cours d'eau notamment puisqu’il comprend la région Ile-de-France, région la plus peuplée de l’hexagone selon le dernier recensement INSEE.
• étape 1 : inventorier les usages
Dans le cadre de l’état des lieux réalisé en 2013, les principaux usages inventoriés sont les suivants.
Illustration : usages identifiés sur le bassin Seine-Normandie
Source : AESN, état des lieux 2013.
• étape 2 : caractériser les usages
Les activités concernées par l’utilisation de l’eau ont fait l’objet d’une traduction en termes d'indicateurs.
Tableau 2 : extrait des indicateurs économiques mobilisés lors de l'état des lieux 2013 sur le bassin Seine-Normandie
Usages domestiques | Indicateurs utilisés | |
---|---|---|
Alimentation en eau potable | Volumes prélevés pour l'eau potable | |
Densité de population | ||
Assainissement collectif | Nombre de logements raccordés | |
Nombre d'habitants raccordés à l'assainissement collectif | ||
Usages non domestiques | Indicateurs utilisés | |
Catégorie d'usage | dont notamment... | |
Usages agricoles | l'élevage | Nombre d’exploitations |
Composition du cheptel du bassin : part des unités gros bétail (UGB), surfaces toujours en herbes… | ||
Production Brute Standard (PBS) du secteur agricole | ||
l'irrigation | Types de cultures sur le bassin : part des terres labourables, superficies en maïs… | |
Superficie irriguée | ||
Evolution de la surface agricole utile (SAU) | ||
Emploi agricole : nombre d’unités de travail annuels (UTA), volume de travail… | ||
Usages industriels | Nombre d'établissements | |
Nombre d'emplois | ||
Chiffres d'affaires | ||
Usages récréatifs | la navigation commerciale | Volumes transportés |
Chiffres d'affaires | ||
l'activité portuaire | Nombre de ports | |
Emplois portuaires | ||
Trafic de marchandises | ||
l'hydroélectricité | ||
Recette nette totale | ||
Puissance installée | ||
Nombre d'emplois | ||
Nombre d’ouvrages hydroélectriques | ||
l'extraction de granulats alluvionnaires | Chiffre d'affaires | |
Production : volumes produits, part du volume dans la production française… | ||
la conchyliculture | Volumes de coquillages produits | |
Chiffres d'affaires | ||
baignade, tourisme fluvial, sport nautique, etc. | Nombre de concessionnaires | |
Nombres d'embarcations immatriculées dans les ports normands, nombre de bateaux... | ||
Nombres d'usages respectifs pour chaque activité / nombre de licenciés |
Source : AESN, état des lieux 2013.
Le poids économique des différents usages des ressources en eau et des milieux aquatiques a été évalué. Une distinction a été faite en dissociant les usages qui requièrent une bonne qualité de l’eau et ayant un moindre impact sur les milieux (par exemple, les activités touristiques liés à la baignade) des usages ayant un impact négatif sur les milieux (tel que certaines activités industrielles).
La figure ci-après présente les résultats.
Illustration : poids économiques des usages de l’eau et principaux enjeux du bassin
Source : AESN, état des lieux 2013.
• étape 3 : établir un lien entre la caractérisation des usages et le milieu naturel
• Impact sur les milieux aquatiques
Les différentes activités humaines du bassin génèrent des pressions qui impactent la qualité des eaux du bassin. Sur le bassin, les pressions polluantes qui s’exercent sur les masses d’eau ont pour principales origines : les rejets pluviaux, les rejets domestiques, les rejets industriels ou les rejets agricoles.
Chaque catégorie de pression polluante a été traduite en impact sur le milieu aquatique. Dans le cadre de notre exemple, on s’intéresse aux principales pressions exercées par les usages domestiques et les usages agricoles.
Les rejets des collectivités (les eaux domestiques) et les rejets agricoles contribuent majoritairement à la pollution par les composés azotés. Les apports en excès d’azote à la mer par les fleuves sont un des principaux facteurs responsables des phénomènes d’eutrophisation des eaux côtières.
Par ailleurs, les pollutions liées aux micropolluants trouvent leur origine principalement dans les rejets industriels. Les rejets urbains ainsi que les apports induits par le ruissellement en temps de pluie ne sont pas à négliger puisque de nombreuses substances transitent par ces réseaux. On parle d’eaux pluviales lorsque ces dernières se chargent en polluants par l’intermédiaire du lessivage des surfaces par lesquelles elles transitent.
Ces apports industriels et urbains ne sont pas les seuls à considérer : d’autres comme les apports diffus agricoles (élevage, érosion sur surface agricole) peuvent s’avérer non négligeables voire prépondérants. Ce peut être le cas pour le nickel ou le chrome.
Ces substances peuvent s’avérer toxique à la fois pour l’environnement et pour l’homme.
A juste titre, lorsque l’eau ne respecte pas les normes de qualité, celle-ci doit subir un traitement complémentaire.
Par exemple, pour distribuer une eau potable à partir des eaux brutes, la collectivité supporte différents coûts (le coût des travaux si un captage doit être abandonné ou dépollué, le coût du traitement de l’eau, etc.).
Une teneur excessive en nitrates entraîne des surcoûts dus aux traitements de potabilisation de la ressource. Une étude du CGDD a estimé les dépenses de traitement de potabilisation à la charge des collectivités locales. Ces dernières seraient ainsi comprises entre 120 et 360 millions d’euros par an, sur la base d'une estimation datant de 2011.
• Conflit d'usages
Au regard des usages identifiés, de nombreux conflits d’usages peuvent apparaître.
Par exemple, les activités agricoles présentent sur le territoire contribuent à la pollution des cours d’eau. Il y a conflit d’usages lorsque ces activités peuvent altérer une source d’eau potable, qu’il s’agisse d’un puits privé ou d’une source utilisée pour les prélèvements des services publics d’eau potable.
Le bassin est un haut lieu de la production conchylicole. Les coquillages ont besoin de matière organique et de l’oxygène présents dans l’eau pour se développer. Or, un apport excessif en azote ou en phosphore induit par les rejets de l’assainissement collectif et non collectif ou par l’activité agricole vient altérer la qualité de l’eau en appauvrissant cette dernière en oxygène. Il se peut qu’un conflit d’usage naisse entre l’usage conchylicole et l’usage domestique et/ou agricole.
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Mobiliser la caractérisation économique des usages en dehors du cadre de la DCE
Le champ d’utilisation de la caractérisation des usages ne se limite pas aux obligations découlant de la DCE. L’évaluation de l’importance socio-économique des usages de l’eau intervient dans l’élaboration d’autres documents territoriaux notamment les plans de gestion de la ressource en eau (PGRE) ou les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE).
Selon l’instruction gouvernementale du 7 mai 2019 , un PTGE est « une démarche reposant sur une approche globale et co-construite de la ressource en eau sur un périmètre cohérent d’un point de vue hydrologique et hydrogéologique. Il aboutit à un engagement de l’ensemble des usagers d’un territoire (eau potable, agriculture, industrie, navigation, énergie, loisirs, etc.) permettant d’atteindre, dans la durée, un équilibre entre besoins et ressources disponibles en respectant la bonne fonctionnalité des écosystèmes aquatiques, en anticipant le changement climatique et en s’y adaptant ».
Ainsi, la démarche d’un PTGE s’inscrit dans une dynamique de dialogue et permet de :
- réaliser un diagnostic des ressources disponibles et des besoins actuels et futurs des divers usages ;
- mettre en œuvre des actions d’économie d’eau pour tous les usages ;
- accompagner les agriculteurs dans la mise en œuvre de la transition agro-écologique ;
- conduire les collectivités locales à désartificialiser les sols pour augmenter l’infiltration des eaux pluviales, et à considérer plus largement les solutions fondées sur la nature ;
- assurer un partage équitable et durable de la ressource en servant en priorité les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l’alimentation en eau potable de la population ;
À l'issue des Assises de l'eau, le Gouvernement s'est fixé l’objectif de faire aboutir au moins 50 projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) d’ici 2022, et 100 d’ici 2027. A ce titre, et pour faciliter son déploiement, l’institut national de la recherche agronomique (INRAE, ex IRSTEA), avec le soutien du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation, vient de publier un Guide d'aide à la réalisation d'analyses économiques et financières des PTGE à composante agricole.